"Marisol Touraine a capitulé devant les médecins"
Professeur d'économie de la Santé à l'université Paris-Dauphine, membre du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) Brigitte Dormont critique l'accord sur les dépassements d'honoraires qui entérine le recul de l'assurance maladie tout en étant inapplicable. Elle regrette la reculade de Marisol Touraine devant les médecins.
A l'exception de MG France qui s'est abstenu, les syndicats ont voté contre les modalités de suivi des praticiens en honoraires libres dans le cadre de l'avenant N° 8 en commission paritaire nationale (CPN), et les caisses sont passées en force. Faut-il croire à ce énième psychodrame conventionnel ?
J'ai été personnellement très impressionnée de constater combien les médecins haussaient le ton dans le cadre de ces négociations conventionnelles. L'impression qui se dégage est que la bataille s'est beaucoup déroulée sur l'opinion. Marisol Touraine a engagé la convention en dénonçant les dépassements abusifs, suivant ainsi les conclusions d'un rapport très détaillé et consensuel du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) faisant état des difficultés d'accès aux soins liées à la progression des dépassements. Mais lorsque Marisol Touraine s'est attaquée au problème, les médecins sont montés au créneau en disant qu'il était impensable de menacer leurs revenus, leur existence. J'ai l'impression que les médecins ont perdu pour la première fois la bataille de l'opinion, les Français n'ont plus envie de les entendre dire qu'ils ne gagnent pas assez d'argent.
S'agit-il néanmoins d'un bon accord à vos yeux ?
Dans la réalité, l'accord s'est vraiment joué sur le dos des patients et des assurés sociaux car il s'est construit sur un jeu entre la CNAM, les complémentaires dans le cadre de l'UNOCAM et le ministère de la Santé. Ainsi, les médecins ont pu faire leurs courses pour chercher les mieux disant et au final l'accord retenu n'apporte rien aux assurés sociaux. Il préconise la mise en place d'un contrat d'accès aux soins promu par la CNAM qui autorise un dépassement de 100 % du tarif opposable. Les médecins ont négocié des avantages pour accepter ce contrat, qui revient pourtant à entériner un taux de couverture par la sécurité sociale de 35 %. Puisque la Sécu couvre à hauteur de 70 % le tarif de la consultation et que le médecin peut doubler son tarif, cela revient à ne plus la couvrir qu'à hauteur de 35 %... Ce qui est proprement sidérant, c'est que ce soit la CNAM qui ait formulé cette proposition ! Certains observateurs considèrent que la CNAM a tendance à organiser son retrait pour se définir comme une assurance catastrophique, couvrant très mal les soins de ville, au profit des personnes hospitalisées qui bénéficieront, elles, d'une bonne couverture. Le fait que le directeur de la CNAM ait été très actif pour proposer ce contrat d'accès aux soins suggère que ce genre de raisonnement n'est pas dénué de fondement.
La difficulté a également été de délimiter les dépassements abusifs
Oui. Le curseur de 150 % a été placé en préambule de l'avenant N°8, de manière à lui enlever son caractère coercitif.
Il n'empêche que pour les caisses, ce taux sera coercitif.
Effectivement, alors qu'on ne savait pas trop comment interpréter ce taux de 150 %. S'agissait-il d'un niveau moyen ou d'une barre absolue pour tous ? Le texte dit qu'un médecin pratiquant un dépassement abusif doit passer devant une instance qui va évaluer si oui ou non son taux est abusif avant le déclenchement de sanction. Si la barre avait été placée mécaniquement à 150 %, cela représentait trop de médecins dans certaines régions, et cela aurait demandé tellement de temps de traitement que les trois ans restant à la convention n'y suffisaient pas. Cette disposition étant inapplicable en pratique, le directeur de la CNAM cherche à hausser le plafond de déclenchement dans certaines régions et à le baisser dans d'autres.
Cet accord sera-t-il opérationnel ?
Il s'agit d'une approche très réglementaire avec des punitions. Cela montre bien l'échec probable de ce type d'approche car il est toujours très difficile de la mettre en place dans un cadre de négociation où chacun défend ses intérêts. Les punitions sont ensuite très difficilesà mettre en œuvre, du fait de la possibilité de recours juridiques. C'est ce qui est en train de se passer : les textes sont inopérants en pratique. Or, je considère que les gens doivent être bien couverts et qu'en conséquence, on ne peut admettre de dépassements dans le cadre du panier de soins classique. La situation française est assez malsaine car la sécurité sociale et les complémentaires interviennent sur la couverture du même panier de soins, avec des mécanismes de vases communicants très délétères pour le pilotage des dépenses. Dans d'autres pays les assurances complémentaires sont plutôt des assurances supplémentaires qui couvrent d'autres soins que ceux du panier de base (chambre supplémentaire à l'hôpital, médecine douces, etc.) Avec le contrat d'accès aux soins la CNAM peut se défausser sur d'autres acteurs de la couverture de tarifs améliorant le revenu des médecins, sans qu'une réelle discussion ait eu lieu sur la nécessité d'augmenter les revenus des médecins.
Cet accord déroule-t-il à vos yeux, le tapis rouge aux complémentaires ?
Ce qui m'a le plus choquée, c'est la tenue du débat sur les réseaux de soins. Cet avenant N° 8 a été conclu parce que les complémentaires santé qui veulent prendre plus de place dans le paysage, sont intervenues pour prendre en charge des éléments de rémunération dans le cadre du secteur 1. Elles savent qu'à travers le contrat d'accès aux soins, elles vont pouvoir s'implanter avec une position difficilement réversible. Pour moi, le développement de réseaux de soins intégrés représente une justification d'accorder une place plus importante aux complémentaires. Avec une concurrence régulée, les complémentaires santé auraient intérêt à proposer une bonne qualité des soins et des tarifs relativement bas. Elles pourraient le faire, en regroupant les médecins autour de cahiers des charges incluant plus de prévention, et leur donner un complément de revenus, éventuellement sous forme de salaire en échange d'accords sur le niveau des tarifs. Dans l'hypothèse d'un paysage comportant beaucoup de complémentaires, elles pourraient être plus à même d'inciter et de contrôler les médecins que la CNAM qui est passive, et ambigüe dans ses objectifs. Les médecinsdéfenseurs de la médecine libérale, qui se sont battus avec acharnement contre cette possibilité de réseaux de soins,l'ont bien compris,. Dans ce combat, la ministre a fini par capituler en acceptant qu'aucune disposition portant sur les tarifs ne puisse être négociée dans le cadre de réseaux.
Qu'aurait-il fallu faire ?
Rien n'est simple. Mais une chose à faire pour lutter contre les dépassements, c'est d'arrêter de subventionner les contrats de groupe, qui sont trop généreux à cet égard pour leurs affiliés. On trouve actuellement sur le marché les assurances complémentaires individuelles et les assurances de groupe négociées par les entreprises, auxquelles les syndicats tiennent énormément - elles ont représenté une pièce maîtresse du récent accord sur la flexi sécurité - Ces assurances de groupe sont subventionnées par l'Etat par le biais d'exonérations fiscales pour les employeurs. Or, ces assurances sont hétérogènes, certaines couvrent très généreusement les dépassements, jusqu'à 200 ou 300 %, parfois plus .Ce qui est une catastrophe, car cela solvabilise les gros dépassements tout en coutant très cher au gouvernement. Cela tire les dépassements vers le haut, même pour les affiliés moins bien couverts. Il s'agit d'une politique publique désastreuse : la générosité de ces assurances en matière de remboursements est favorisée par les exonérations fiscales qui sont coûteuses pour le contribuable. Donc, arrêter de subventionner les organismes de protection complémentaire de groupe qui couvrent les dépassements représenterait une mesure permettant de limiter les dépassements. Il faudrait l'accompagner de la garantie d'une offre de soins en secteur 1, pour que les patients aient le choix.
Les médecins libéraux sont-ils correctement rémunérés ?
A force d'entendre dire qu'un médecin du secteur 1 est moins rémunéré qu'un plombier, j'ai lancé une étude sur les médecins généralistes du premier secteur. Hélas, la comparaison avec les plombiers n'est pas possible, faute de données sur la profession… Nous avons étudié un échantillon représentant 1/10ème des médecins généralistes sur longue période. Nous avons comparé leur carrière et leurs revenus. Nous avons calculé les revenus année après année, puis nous avons cumulé les revenus sur toute la carrière. Nous avions les données fiscales permettant de calculer les revenus nets de frais à partir des honoraires et nous avons comparé ces revenus avec des professionnels à haut niveau de diplôme, des cadres supérieurs du privé. Nous les avons suivi dans le temps à partir de leur installation et jusqu'à 25 ans de carrière et nous avons regardé si, en tenant compte de la durée des études, cela valait le coup d'être médecin.
Les résultats sont intéressants car si les médecins généralistes gagnent moins que les cadres en début de carrière, ils gagnent plus après. Le niveau de revenus est très dépendant du numerus clausus, et en fin de carrière, pour les générations récentes, les généralistes du secteur 1 gagnent beaucoup plus que les cadres supérieurs. Le numerus clausus a un effet déterminant sur la carrière du médecin. Selon leur génération certains praticiens gagnent jusqu'à 25 % de moins que leurs confrères d'une autre génération. Les médecins qui se battent pour augmenter le numerus clausus n'ont rien compris…
DU FAIT D'UNE PROFUSION DE COMMENTAIRES DEPLACES, NOUS INTERROMPONS MOMENTANEMENT LA PUBLICATION DE CES POSTS.
A l'exception de MG France qui s'est abstenu, les syndicats ont voté contre les modalités de suivi des praticiens en honoraires libres dans le cadre de l'avenant N° 8 en commission paritaire nationale (CPN), et les caisses sont passées en force. Faut-il croire à ce énième psychodrame conventionnel ?
J'ai été personnellement très impressionnée de constater combien les médecins haussaient le ton dans le cadre de ces négociations conventionnelles. L'impression qui se dégage est que la bataille s'est beaucoup déroulée sur l'opinion. Marisol Touraine a engagé la convention en dénonçant les dépassements abusifs, suivant ainsi les conclusions d'un rapport très détaillé et consensuel du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) faisant état des difficultés d'accès aux soins liées à la progression des dépassements. Mais lorsque Marisol Touraine s'est attaquée au problème, les médecins sont montés au créneau en disant qu'il était impensable de menacer leurs revenus, leur existence. J'ai l'impression que les médecins ont perdu pour la première fois la bataille de l'opinion, les Français n'ont plus envie de les entendre dire qu'ils ne gagnent pas assez d'argent.
Dans la réalité, l'accord s'est vraiment joué sur le dos des patients et des assurés sociaux car il s'est construit sur un jeu entre la CNAM, les complémentaires dans le cadre de l'UNOCAM et le ministère de la Santé. Ainsi, les médecins ont pu faire leurs courses pour chercher les mieux disant et au final l'accord retenu n'apporte rien aux assurés sociaux. Il préconise la mise en place d'un contrat d'accès aux soins promu par la CNAM qui autorise un dépassement de 100 % du tarif opposable. Les médecins ont négocié des avantages pour accepter ce contrat, qui revient pourtant à entériner un taux de couverture par la sécurité sociale de 35 %. Puisque la Sécu couvre à hauteur de 70 % le tarif de la consultation et que le médecin peut doubler son tarif, cela revient à ne plus la couvrir qu'à hauteur de 35 %... Ce qui est proprement sidérant, c'est que ce soit la CNAM qui ait formulé cette proposition ! Certains observateurs considèrent que la CNAM a tendance à organiser son retrait pour se définir comme une assurance catastrophique, couvrant très mal les soins de ville, au profit des personnes hospitalisées qui bénéficieront, elles, d'une bonne couverture. Le fait que le directeur de la CNAM ait été très actif pour proposer ce contrat d'accès aux soins suggère que ce genre de raisonnement n'est pas dénué de fondement.
La difficulté a également été de délimiter les dépassements abusifs
Oui. Le curseur de 150 % a été placé en préambule de l'avenant N°8, de manière à lui enlever son caractère coercitif.
Effectivement, alors qu'on ne savait pas trop comment interpréter ce taux de 150 %. S'agissait-il d'un niveau moyen ou d'une barre absolue pour tous ? Le texte dit qu'un médecin pratiquant un dépassement abusif doit passer devant une instance qui va évaluer si oui ou non son taux est abusif avant le déclenchement de sanction. Si la barre avait été placée mécaniquement à 150 %, cela représentait trop de médecins dans certaines régions, et cela aurait demandé tellement de temps de traitement que les trois ans restant à la convention n'y suffisaient pas. Cette disposition étant inapplicable en pratique, le directeur de la CNAM cherche à hausser le plafond de déclenchement dans certaines régions et à le baisser dans d'autres.
Cet accord sera-t-il opérationnel ?
Il s'agit d'une approche très réglementaire avec des punitions. Cela montre bien l'échec probable de ce type d'approche car il est toujours très difficile de la mettre en place dans un cadre de négociation où chacun défend ses intérêts. Les punitions sont ensuite très difficilesà mettre en œuvre, du fait de la possibilité de recours juridiques. C'est ce qui est en train de se passer : les textes sont inopérants en pratique. Or, je considère que les gens doivent être bien couverts et qu'en conséquence, on ne peut admettre de dépassements dans le cadre du panier de soins classique. La situation française est assez malsaine car la sécurité sociale et les complémentaires interviennent sur la couverture du même panier de soins, avec des mécanismes de vases communicants très délétères pour le pilotage des dépenses. Dans d'autres pays les assurances complémentaires sont plutôt des assurances supplémentaires qui couvrent d'autres soins que ceux du panier de base (chambre supplémentaire à l'hôpital, médecine douces, etc.) Avec le contrat d'accès aux soins la CNAM peut se défausser sur d'autres acteurs de la couverture de tarifs améliorant le revenu des médecins, sans qu'une réelle discussion ait eu lieu sur la nécessité d'augmenter les revenus des médecins.
Cet accord déroule-t-il à vos yeux, le tapis rouge aux complémentaires ?
Ce qui m'a le plus choquée, c'est la tenue du débat sur les réseaux de soins. Cet avenant N° 8 a été conclu parce que les complémentaires santé qui veulent prendre plus de place dans le paysage, sont intervenues pour prendre en charge des éléments de rémunération dans le cadre du secteur 1. Elles savent qu'à travers le contrat d'accès aux soins, elles vont pouvoir s'implanter avec une position difficilement réversible. Pour moi, le développement de réseaux de soins intégrés représente une justification d'accorder une place plus importante aux complémentaires. Avec une concurrence régulée, les complémentaires santé auraient intérêt à proposer une bonne qualité des soins et des tarifs relativement bas. Elles pourraient le faire, en regroupant les médecins autour de cahiers des charges incluant plus de prévention, et leur donner un complément de revenus, éventuellement sous forme de salaire en échange d'accords sur le niveau des tarifs. Dans l'hypothèse d'un paysage comportant beaucoup de complémentaires, elles pourraient être plus à même d'inciter et de contrôler les médecins que la CNAM qui est passive, et ambigüe dans ses objectifs. Les médecinsdéfenseurs de la médecine libérale, qui se sont battus avec acharnement contre cette possibilité de réseaux de soins,l'ont bien compris,. Dans ce combat, la ministre a fini par capituler en acceptant qu'aucune disposition portant sur les tarifs ne puisse être négociée dans le cadre de réseaux.
Rien n'est simple. Mais une chose à faire pour lutter contre les dépassements, c'est d'arrêter de subventionner les contrats de groupe, qui sont trop généreux à cet égard pour leurs affiliés. On trouve actuellement sur le marché les assurances complémentaires individuelles et les assurances de groupe négociées par les entreprises, auxquelles les syndicats tiennent énormément - elles ont représenté une pièce maîtresse du récent accord sur la flexi sécurité - Ces assurances de groupe sont subventionnées par l'Etat par le biais d'exonérations fiscales pour les employeurs. Or, ces assurances sont hétérogènes, certaines couvrent très généreusement les dépassements, jusqu'à 200 ou 300 %, parfois plus .Ce qui est une catastrophe, car cela solvabilise les gros dépassements tout en coutant très cher au gouvernement. Cela tire les dépassements vers le haut, même pour les affiliés moins bien couverts. Il s'agit d'une politique publique désastreuse : la générosité de ces assurances en matière de remboursements est favorisée par les exonérations fiscales qui sont coûteuses pour le contribuable. Donc, arrêter de subventionner les organismes de protection complémentaire de groupe qui couvrent les dépassements représenterait une mesure permettant de limiter les dépassements. Il faudrait l'accompagner de la garantie d'une offre de soins en secteur 1, pour que les patients aient le choix.
A force d'entendre dire qu'un médecin du secteur 1 est moins rémunéré qu'un plombier, j'ai lancé une étude sur les médecins généralistes du premier secteur. Hélas, la comparaison avec les plombiers n'est pas possible, faute de données sur la profession… Nous avons étudié un échantillon représentant 1/10ème des médecins généralistes sur longue période. Nous avons comparé leur carrière et leurs revenus. Nous avons calculé les revenus année après année, puis nous avons cumulé les revenus sur toute la carrière. Nous avions les données fiscales permettant de calculer les revenus nets de frais à partir des honoraires et nous avons comparé ces revenus avec des professionnels à haut niveau de diplôme, des cadres supérieurs du privé. Nous les avons suivi dans le temps à partir de leur installation et jusqu'à 25 ans de carrière et nous avons regardé si, en tenant compte de la durée des études, cela valait le coup d'être médecin.
Les résultats sont intéressants car si les médecins généralistes gagnent moins que les cadres en début de carrière, ils gagnent plus après. Le niveau de revenus est très dépendant du numerus clausus, et en fin de carrière, pour les générations récentes, les généralistes du secteur 1 gagnent beaucoup plus que les cadres supérieurs. Le numerus clausus a un effet déterminant sur la carrière du médecin. Selon leur génération certains praticiens gagnent jusqu'à 25 % de moins que leurs confrères d'une autre génération. Les médecins qui se battent pour augmenter le numerus clausus n'ont rien compris…
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